lundi 15 octobre 2012

Leurre

Ce matin-là nous proposions à Claude et Michel, nos visiteurs bretons, une promenade au cap Tourmente pour observer les oies blanches en pose migratoire. L’automne resplendissait de couleurs sous un chaud soleil. C’était la journée idéale pour une ballade à la découverte du spectacle ornithologique saisonnier.

L’oie blanche habite l’été en Arctique canadien et passe l’hiver sur les côtes américaines. Pour rejoindre les zones humides où elle hiverne elle fait une escale gourmande dans des zones protégées établies le long du fleuve Saint-Laurent dont la Réserve nationale de la faune du cap Tourmente. Les médias québécois annoncent leur arrivée spectaculaire tant attendue.

Nous consultons en route des brochures décrivant les habitudes de ces oiseaux migrateurs. Le nombre de ces grands oiseaux blancs qui se déploient en ces lieux chaque automne est impressionnant. Le spectacle devrait être féérique. Notre fébrilité augmente au fur et à mesure que nous approchons. Arrivés à l’entrée du parc, nous descendons de la voiture et empruntons le sentier balisé vers le site. Une pancarte recommande d’y monter en silence pour ne pas effrayer les oies. Au loin nous voyons à flan de coteau quelques taches blanches prometteuses. Les oies sont au rendez-vous!

Nous montons en file indienne le sentier pierreux en prenant bien soin de ne pas faire rouler de cailloux. Une pose en cours d’escalade dans l’attente de percevoir déjà le caquètement des oies. Rien. Reprise de la montée jusqu’au sommet. Stupéfaction: aucune oie! Les taches blanches vues d’en bas ne sont que des leurres placés là pour attirer les migrantes. Nous avons été les premiers leurrés.

Il a fallu en rire et en déduire que nous précédions de quelques heures l’arrivée spectaculaire des oies blanches au cap Tourmente.

Nous avons alors évoqué cet autre rendez-vous manqué l’année précédente avec nos amis dans le Finistère où nous n’avions pu voir la Pointe du Raz complètement cachée derrière un épais brouillard.

Comme nous en Bretagne, nos amis bretons durent acheter une carte postale pour compléter l’album de leur voyage.

vendredi 5 octobre 2012

Mes premières lectures

J’ai commencé à lire couramment à l’âge de cinq ans grâce à mes sœurs aînées. J’étais fière de pouvoir défricher les mots et d’en comprendre le sens.

Je me souviens que, trop petite pour atteindre le livre convoité, je demandai un jour à ma grande sœur Germaine, responsable de la bibliothèque familiale, d’extirper pour moi le plus gros volume de l’étagère du haut : Les fables de La Fontaine.

Surprise de mon choix, elle le déposa sur la table en me recommandant d’en prendre bien soin. Le livre était précieux dans la famille. Il était recouvert de cuir rouge et à tranche dorée. Il avait été offert à mon grand-père par son ami Paul-Augustin Normand, armateur français venu refaire sa santé au Lac Saint-Jean au début du vingtième siècle. Après son retour au Havre, Monsieur Normand avait envoyé à mon grand-père ce trésor avec deux autres volumes aussi imposants : Le livre de Renard et La chanson de Roland. Je dus me mettre à genoux sur la chaise pour lire le texte et observer les images éloquentes de Gustave Doré.

La fable du Renard et de la Cigogne m’avait frappée par les illustrations des récipients incompatibles à la morphologie des personnages. L’un et l’autre à tour de rôle s’invitent à dîner. Chez le Renard, le repas servi en une assiette, la cigogne au long bec n’en put attraper miette; chez la Cigogne, le repas servi en un vase long col, le bec de la cigogne y pouvait bien passer, mais le museau du sire était autre mesure. Il lui fallut à jeun retourner au logis.

Du langage des animaux de La Fontaine, je passai à celui des humains avec Perrault et ses contes fabuleux, tandis que la comtesse de Ségur m’amena chez les Petites filles modèles et les Malheurs de Sophie. Univers bourgeois bien loin du mien, mais je m’y retrouvais dans l’esprit ludique des filles de mon âge.

Mes grandes sœurs se passaient les Brigitte et les Élisabeth de Berthe Bernage, longues sagas du monde des jeunes filles de bonne famille. La curiosité me prit de les découvrir à mon tour et d’échanger avec elles mes impressions de lectures. Benjamine d’une famille de huit filles, on m’appelait souvent « Mademoiselle moi aussi ». Pour preuve, quand à l’âge de quinze ans ma sœur Gilberte serra sa poupée, je serrai la mienne. J’avais dix ans. Mon mimétisme se prolongea dans mon adolescence.

Tout comme mes grandes sœurs j’ai dévoré avec passion Ces dames aux chapeaux verts de Germaine Acrement, roman drôle et tendre qui raconte l’histoire d’Arlette, une jeune parisienne. À la mort de son père, elle va habiter chez ses quatre cousines, vieilles filles notoires, dans une petite ville près du Pas-de-Calais. Le climat de la maison n’est pas des plus gais. Elle trouve par hasard le journal de l’ainée, la rigide Telcide, et découvre que celle-ci a eu autrefois un amour secret du nom de Hyacinthe. Après de multiples recherches, Arlette retrouve le fameux amoureux qui est toujours célibataire. Comme toutes les bonnes histoires, ces retrouvailles ont l’effet d’attendrir la revêche Telcide et de créer une atmosphère contagieuse de bonheur dans la maison. Une phrase me revient en mémoire. (Ce n’est pas la meilleure, mais elle avait conforté mes complexes de l’époque). La prétendante gênée par son physique ingrat s’entend répondre par son amoureux : « On est plus près de cœur quand la poitrine est plate... »

En 1944, une trilogie (Adagio, Allégro, Andante) révélait au Québec celui qui allait devenir un géant littéraire : Félix Leclerc. Ses fables faisaient parler des animaux d’ici dans des décors qui nous étaient familiers. Je m’y retrouvais tout comme dans Pieds nus dans l’aube où Félix racontait ses souvenirs d’enfance heureuse.

L’intérêt pour les classiques vint plus tard, lors des mes études à l’École Normale de Nicolet grâce à sœur Sainte-Anne d’Auray. Cette religieuse de la communauté des Sœurs de l’Assomption me révéla la beauté des grands textes. Cette pédagogue passionnée de littérature donnait vie aux personnages de Corneille, de Racine et de Molière et admirait Claudel. Pour Rostand, elle devenait intarissable. Je me souviens comment avec l’Aiglon, mais surtout avec Cyrano, elle sut faire vibrer les cordes sensibles de la jeune Roxane de quinze ans que j’étais.

Aujourd’hui je peux dire que c’est à travers ces premières lectures que j’ai appréhendé la complexité du monde, où malgré la diversité des peuples et des modes de vie, un dénominateur commun demeure : la quête du bonheur.