lundi 30 janvier 2012

Dîner

Je vous attendrai dimanche pour le dîner comme on dit en France.

C’est par ces mots que je terminais mon courriel à ma nièce Manon en visite au Québec avec son époux Jean-Luc.

Manon vit à Paris. C’est une chouette fille qui garde toujours des liens solides avec son Québec d’origine et sa famille. J’ai le privilège de compter parmi ses correspondantes assidues. Elle m’appelle « Tyvonne » en souvenir de la consonance « Tant'Yvonne » de son enfance. Mignon!

Cette fin de semaine-là nous devions être en Charlevoix avec des amis et en revenir dimanche après-midi. De là, mon invitation pour le repas du soir. Je croyais avoir été claire en précisant « pour le dîner comme on dit en France ».

Il fait un temps superbe en ce dimanche matin en Charlevoix. Nous prenons le temps de jouir des derniers moments qu’il nous reste à partager avec nos amis et de savourer le copieux déjeuner servi dans l’auberge où nous sommes descendus depuis vendredi. Pas de souci. En rentrant à Québec en début d’après-midi nous aurons le temps de préparer de bons plats pour le souper.

En pliant bagages, je veux me rassurer en appelant chez la mère de Manon. C’est avec surprise que j’entends ma sœur dire :

Elle est en route vers Québec. Tel que prévu elle sera avec vous pour dîner.

Il est presque midi. Nous sommes à plus de cent kilomètres de la maison et je ne sais comment joindre Manon.

Coup de chance! Notre petite-fille Fanny, de passage à Québec pour un spectacle de Robert Lepage, loge chez nous. Je l’appelle. C’est une fille débrouillarde. Elle me rassure. Elle ira avec son copain François chercher des plats cuisinés chez un traiteur de la rue Cartier et accueillera nos invités en nous attendant.

Nous respirons mieux. Cap sur Québec.

À la maison, un arôme de tartes salées venant du four nous accueille. Sur le comptoir : salade, fromages, petits fruits de saison. La table de son côté est bien dressée. Tout est prêt. Il ne manque que les convives. Merveilleux enfants !

On sonne à la porte ! C’est Manon et Jean-Luc, désolés d’arriver en retard… Ces excuses déclenchent une rigolade de notre part. Il me fallait en expliquer la raison.

La tablée est joyeuse. Nous sommes ravis de les revoir. Fanny aussi, qui les a rencontrés récemment à Paris, tout heureuse de leur présenter François. On parle d’abondance.

Dans la conversation nous revenons sur la méprise du jour. Même si elle dîne le soir à Paris, ma chère nièce, lorsqu’elle est ici retrouve le lexique de son enfance et dîne le midi.

lundi 23 janvier 2012

Histoires de jaquettes

En vidant ma valise, au retour d’un voyage en France, je constate qu’il me manque une jaquette. Ma plus belle. Celle brodée, en fin coton, de style victorien.

Je ne sais trop où je l’ai oubliée, mais je pense que c’est lors d'une des dernières étapes : Aix ou Arles en Provence, ou Briançon dans les Hautes-Alpes.

Il est vrai que chaque hôtel possède bien notre adresse grâce à la fiche que Claude a rempli lors de notre arrivée, mais il est vrai également qu'aucun hôtelier d'expérience, tout honnête qu'il soit, n'oserait de son propre chef renvoyer des dessous féminins oubliés par un couple de voyageurs. Discrétion du métier oblige. Car faut-il le rappeler, il arrive parfois que certains couples mentent. J'imagine sans peine l'embarras du mari, comme ce malheureux homme contraint par ses affaires de s'absenter au loin quelques jours sans sa chère moitié, si un paquet contenant de pareilles frivolités était livré à son domicile.

Chéri, tu peux m'expliquer pourquoi on a trouvé cette jaquette dans ta chambre ?

Trêve de plaisanterie, je tente donc ma chance. J’écris aux trois hôtels où nous sommes descendus dans ces villes. Qui sait ? Le personnel de l’un d’eux l’a probablement trouvée ?

La chance me sourit. Quelques semaines plus tard je reçois de Briançon un colis contenant ma chemise de nuit, lavée, repassée et enveloppée de papier de soie. Un vrai cadeau!

Avec mes remerciements à l’aubergiste je promets de recommander chaleureusement Briançon et leur honnête auberge aux amis.

Briançon, ville d’art et d’histoire, inscrite au Patrimoine de l’UNESCO par ses fortifications de Vauban, vaut le détour.

Elle est si ensorcelante qu’elle me fit même perdre la tête.

***


Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre.

Ce temps où les hôpitaux n’étaient pas devenus des lieux de passages rapides. Par exemple lorsqu’on y accouchait, on y restait cinq ou six jours. On s’y amenait avec une petite valise contenant effets personnels et jaquettes.

La jaquette de l’hôpital (cette indécente fendue dans le dos) ne se portait que la journée de l'accouchement. Les jours suivants où nous nous reposions nous portions nos jolies chemises de nuit dès le matin pout la visite du médecin et autres visiteurs.

Je me rappelle qu'un jour à la maison j'avais oublié de prendre une jaquette avant d’aller au bain. Me sentant inconvenante de sortir nue devant les enfants, j’appelle Claude à la rescousse.

Veux-tu m'apporter une jaquette que tu trouveras dans le tiroir du milieu de la commode ?

Mon homme s’amène avec deux chemises de nuit et demande d’un air moqueur :

Celle pour le mari ou celle pour le docteur ?

mardi 17 janvier 2012

Pierres vivantes

Une pierre jetée dans l’eau fait des ronds à l’infini. Un projet de création le peut aussi. Pour preuve, le thème Pierres vivantes que j’abordais dans mon atelier en 1985 qui m’a menée beaucoup plus loin que je l’imaginais au départ.

Je peignais des portraits de femmes fictives en simplifiant la forme. Je les représentais dans des cadres ovales comme les photos anciennes.

Je parais chacune de pierre précieuse différente et peignais le fond de la toile en harmonie avec le bijou. C’est ainsi qu’une joaillerie digne de la place Vendôme élit domicile dans les rêves les plus fous de mon atelier : diamant, saphir, émeraude, rubis, jade, lapis-lazuli, topaze, aigue marine… Budget illimité !

En cours d’exécution, le hasard place sur ma route Jacques Lacroix, sculpteur-joaillier de Chicoutimi. Je ne peux résister à lui dire que je fais moi aussi dans les bijoux! Une idée lumineuse nait, une association possible entre lui et moi. Jacques visite mon atelier. La chimie opère. C’est parti! Jacques créera des joyaux en écho aux pierres de mes toiles.

De mon côté, je continue mon exploration. Mes belles parées, tout comme leur créatrice, cherchent à s’émanciper. Une première laisse voleter un ruban de sa chevelure à l’extérieur de l’ovale. Une deuxième s’y appuie en portant son regard au loin. Une troisième met nettement le pied à l’extérieur. Le pas est franchi. La pierre n’est pas que parure. Brute ou de taille, elle est témoin des civilisations.

Mes héroïnes entreprennent alors un long voyage. Elles visitent les plus beaux monuments du monde. Solitaires dans les premières toiles, les voilà maintenant devant ces chefs-d’œuvre de l’humanité que sont les grandes Pyramides d’Égypte, le Parthénon d’Athènes, le Tadj Mahall de l’Inde… Ce sont dix autres tableaux qui survolent l’Histoire grâce aux pierres travaillées par l’homme à travers les siècles.

En 1986 le Centre nationale d’exposition de Jonquière fait un événement du projet collectif de Jacques Lacroix et d’Yvonne Tremblay Gagnon sous le titre Pierres vivantes. À la présentation des toiles et des bijoux on y ajoute un autre élément important. Le département des sciences appliquées de l’Université du Québec à Chicoutimi prête les plus belles gemmes de sa collection.

L’exposition occupe les deux salles du centre. Les œuvres sont montrées de façon didactique. Devant chacun de mes tableaux accrochés aux cimaises un présentoir en plexiglas contient une pierre brute et tout à côté un joyau de même essence créé par Jacques.

Peinture, joaillerie et science réunies suscitent grand intérêt et attirent de nombreux visiteurs de tous horizons. Des écoles amènent des groupes d’élèves en autobus voir l’exposition. J’apporte souvent ma participation aux visites guidées. Les commentaires élogieux des visiteurs me ravissent. Il s’agit d’un grand moment dans ma carrière.

Qui aurait dit au départ qu’une toute petite pierre ferait autant de ronds dans l’eau ?

jeudi 12 janvier 2012

Refuge

C’était mon refuge à moi ; révélé à personne. Pas même à mes sœurs pourtant complices quotidiennes de nos jeux d’enfants. Il m’accueillait par temps chaud d’été.


Je l’avais découvert en cueillant des petites fraises. Difficile de dire quel âge j’avais. Peut-être six ans? Pas plus. En fait, ce n’était pas loin de la maison. Juste de l’autre côté du pâturage, adossé à la clôture en pieux de cèdres séparant notre propriété de celle du voisin. Mon petit nid s’inclinait au soleil vers une petite rigole roucoulante en contrebas.

J’avais plaisir de m’y allonger dans l’herbe chaude et d’écouter la musique de la nature! Une vie active s’animait autour de moi telle une symphonie inachevée. Une sauterelle dérangée par ma présence cliquetait en se sauvant. Une abeille tourbillonnait d’allégresse au dessus des trèfles gorgés de nectar. Tiens, un papillon jaune folâtrait autour d’une marguerite. Il ne manquait plus qu’une libellule gracieuse pour venir saluer la demoiselle que j’étais! En revanche, un colibri s’amenait faire du surplace devant mon regard.

D’autres bestioles plus impressionnantes osaient parfois me faire sursauter. Une grenouille coquette attirait mon attention par son coassement. Un mulot furtif filait à toute vitesse vers un autre repaire.

Chaque fois c’était un spectacle différent, une nouvelle chorégraphie que je gardais jalousement pour moi seule.


Ces moments privilégiés au soleil d’été demeurent à jamais le souvenir le plus poétique de mon enfance. J’en entends encore les vibrations, j’en hume toujours les odeurs et en perçois les couleurs.

Si on me demande d’évoquer un lieu paradisiaque, c’est à mon refuge que je pense. Je lui dois de m’avoir appris le côté bavard du silence, la vie autour d’un brin d’herbe et la beauté qui n’aspire qu’à être contemplée.