vendredi 28 octobre 2011

Rencontre inattendue

Ma fille Marie voyage beaucoup. Je la suis grâce à ses courriels quotidiens. Celui d’aujourd’hui nous ramène à la fin des années soixante.

Maman, j’ai rencontré une amie d’enfance au Musée des beaux-arts de Copenhague ce matin. J’étais si émue que j’ai voulu absolument la présenter à René. Je t’envoie la photo de mon amie.

Une difficulté technique m’empêche de sortir la photo annoncée. Le temps que mon super technicien d’époux vienne à ma rescousse j’énumère mentalement toutes les copines d’enfance de Marie : Andrée, la petite voisine assidue à la maison? Myriam, la fabuleuse originaire de Belgique ? Johanne, la complice dans les recherches scolaires? Qui donc est cette amie rencontrée par hasard dans ce lointain Danemark?

Enfin, d’un coup de maître, Claude fait apparaître sur l’écran de mon ordinateur l’image de la jeune fille en question. Qui est-ce?


Alice de Modigliani!


C’est en 1967, lors d’un voyage en Europe, que nous avions découvert ce tableau. Quelque chose dans cette jeune fille évoquait la nôtre. Elle dégageait la même grâce sereine de notre sage fille de dix ans. Nous en avions rapporté à son intention la reproduction que nous avions placée bien en vue sur un mur de la cuisine. C’est ainsi que Marie a vécu son adolescence en compagnie d’Alice.

La rencontre inattendue de Copenhague en cette année 2011 fut suivie d’échanges de courriels entre Marie et moi pour dater l’arrivée d’Alice à la maison. Parmi les photos familiales que je me suis mise à fouiller j’en ai découvert plusieurs où on voit Alice en arrière-plan suspendue au mur. Une photo m’a particulièrement touchée, celle où Marie porte la robe semblable à celle d’Alice que j’avais cousue avec tant d’amour.

Tu l’avais faite sans patron et je me disais que ma mère était la meilleure.

Au moment d’écrire cette anecdote, je suis encore tout émue par cette rencontre de Marie avec cette amie d’enfance. Je ne sais si c’est la mère ou la pédagogue en moi qui est la plus remuée. La première revoit sa jeune fille si mignonne en bleu Alice. La seconde constate encore une fois avec ravissement la force spirituelle de l’art et sa pérennité.

lundi 24 octobre 2011

Une initiation particulière avec Suzie

C’est à Suzie que je dois mon initiation érotico-sadomasochiste.

Nous logeons rue Godot-de-Mauroy à Paris. Au moment de sortir de l’hôtel, Claude a besoin d’un renseignement auprès de la réception.

Marchez lentement, dit-il, je vais vous rattraper.

Sitôt dans la rue, Suzie toujours ludique, me propose de nous cacher. Rigolant comme deux gamines, nous entrons dans le portique de la première boutique. La porte est entrouverte. Une dame charmante nous invite à entrer. C’est la propriétaire du sex-shop où nous sommes.

Belle occasion de s’instruire pour deux innocentes! La dame nous fait l’honneur d’une visite guidée de sa boutique. Nos allures de néophytes lui suggèrent sans doute que nous avons largement à apprendre en érotisme et porno. Pour nous rassurer elle ajoute :

J’ai une clientèle sélecte, vous savez. Je reçois des magistrats, des professeurs d’université, des politiciens, des diplomates, des hauts fonctionnaires, bref, la crème du raffinement social. La semaine dernière j’ai même reçu un sous-ministre du Québec…

Surpris de nous trouver en pareil endroit, Claude entre dans la boutique au moment où nous sommes devant la lingerie de séduction, des petites culottes mangeables à saveur de cerise. Suivent les poupées gonflables, les godemichés dernière tendance, les chapelets thaïs, les boules de geisha…

Les Japonais excellent dans le raffinement érotique, précise notre guide.

Pour finir, nous visitons la chambre sadomasochiste qui expose des lanières de cuir, des fouets, des ceintures de chasteté, des menottes destinées aux poignets et aux chevilles… Bref, la totale pour les esprits tordus.

Nous remercions la dame et sortons muettes d’étonnement.

Voilà comment, grâce à Suzie, j’ai eu mon initiation en marketing érotico-sadomasochiste.

L’exutoire

Mon amie Suzie et mon époux Claude sont des gens de caractère. L’un et l’autre possèdent des tempéraments de meneurs qui se sont heurtés lors d’un voyage en Nouvelle-Angleterre.

Si je me souviens bien, Claude était chauffeur attitré et Suzie était pilote.

Quant à Rodolphe et moi, nous étions assis à l’arrière. Exempts de toute responsabilité, nous nous laissions benoitement menés tout au plaisir d’admirer le paysage et d’échanger nos impressions.

La bonne entente règne. Soudain les choses se brouillent:

Tu es sûre Suzie que c’est par là?

Oui, je suis certaine.

Je pense que tu nous fais faire un grand détour…

Va, j’te dis!

Arrêt subit du chauffeur pour consulter la carte. Les voix montent de tons. Bref, une jolie scène de ménage.

Nous, passagers arrière, évitons d’intervenir. Le calme revient au fil des kilomètres.

Il est temps de nous reposer. Une auberge coquette nous accueille.

Apéro dans le jardin avant le souper. Claude s’absente un moment et nous revient portant dans sa main une grosse roche qu’il lance à Suzie.

Je t’en devais une.

L’effroi de Suzie est de courte durée lorsqu’il s’avère que le projectile est inoffensif. Il est en mousse de polystyrène.

Au repas, Suzie dépose sur la serviette de Claude un chocolat Rocher:

Ma roche à moi est pleine de douceur!

C’est ainsi que l’un et l’autre ont trouvé l’exutoire au choc de leurs tempéraments.

Je sais que Suzie a conservé longtemps cette fausse pierre parmi ses bons souvenirs.