samedi 24 décembre 2011

Spontanéité gênante

En marchant je prenais souvent le bras de Claude en lui disant: « Donne-moi ton aile ». C’était devenu un automatisme.

Or, un jour au centre culturel de Jonquière il y eut exposition des costumes de scène de Raoul Jobin. L’épouse du célèbre ténor assistait à l’inauguration avec sa fille, madame Pigeon.

Après la cérémonie, nous quittons en même temps que ces dames. La chaussée est glissante. Claude prend le bras de madame Jobin et moi, je tends le mien à sa fille, madame Pigeon, en lui disant :

Prenez mon aile…

Il a fallu en rire !

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Mon père nous avait raconté une scène dont il avait été témoin entre deux voisines qui se battaient pour des limites territoriales.

Une avait un fort strabisme.

Un jour, l’autre la surprend à avoir sauté la clôture pour cueillir des framboises sur sa terre.

Ces framboises sont à moi. Allez en chercher ailleurs…

J’voudrais bien que vous me chassiez…

Ouais ?... Eh bien approche mes grands yeux croches !

La réplique a survécu dans mon inconscient. Elle est ressortie inopinément un jour lorsqu’une collègue de travail au léger strabisme me demanda de venir voir de près le dessin d’un de ses élèves.

Viens voir c’est trop drôle. Approche, approche…

J’avance en dandinant et récite joyeusement:

Approche mes grands yeux croches …

Je suis encore gênée de ma spontanéité de ce jour-là.

jeudi 22 décembre 2011

Catachrèse

J’ai rencontré dernièrement une « catachrèse ».

J’avais appris la signification de ce mot dans ma lointaine adolescence par un copain étudiant en belles-lettres au séminaire de Chicoutimi.

Comment, m’avait-il dit du haut de son prétentieux savoir, tu ne sais pas ce qu’est une catachrèse ?


C’est une figure de rhétorique.

Plus tard, avec Tintin, je vis le capitaine Haddock utiliser cette métaphore pour qualifier une laideronne : « Vieille Catachrèse! Figure de rhétorique ! »

Que Dieu me pardonne, l’image était si triste à voir que j’ai pensé « catachrèse » pour décrire cette personne hors norme.

Le choc qu’elle a provoqué en moi venait du fait qu’elle n’avait pas bien vieilli. À plus de soixante ans, se donner des airs de Barbie horriblement maquillée, court vêtue, juchée sur des échasses me faisait pitié. Elle se déplaçait seule au dessus de la mêlée, figée sous des traits étirés par de nombreux liftings. Triste clone de Michael Jackson dernière heure.

Quelle souffrance de l’âme peut se cacher sous une telle « figure de rhétorique » ?

dimanche 11 décembre 2011

Garde-manger

Veux-tu, ma petite fille, aller me chercher un cruchon de betteraves et un pot de ketchup vert dans la cave ? Le repas est prêt, il ne manque que les condiments pour accompagner le gigot.

Voilà comment maman occupée à préparer le repas me demande d’aller chercher ces bocaux dans la cave.

C’est à la cave que nous avions notre principal garde-manger.

À cette époque, la cave était en terre battue et nous n’avions pas d’électricité. Le jour une petite fenêtre laissait pénétrer la lumière. Je n’avais pas peur d’y descendre seule. Le soir, c’était la noirceur noire et je ne me sentais pas brave d’y aller seule. Je sollicitais alors l’accompagnement d’une grande sœur.

À mes yeux d’enfant ce garde-manger était rempli de merveilles. Spécialement à la fin de l’automne où toutes les tablettes étaient bien garnies des produits de notre potager. Haricots, betteraves, pois verts, tomates et marinades trônaient multicolores dans leurs bocaux en verre munis au sommet d’une broche à levier refermant hermétiquement le couvercle sur un cercle de caoutchouc rouge. C’était nos vitamines hivernales. Sur une autre tablette se trouvaient les conserves de viandes bien assaisonnées. Dépanneuses en tout temps.

Mais ma tablette favorite c’était celle des confitures de framboises et de petites fraises. Par gourmandise sans doute, mais aussi parce que j’avais participé à la cueillette. S’y ajoutaient d’autres confitures rares pour le temps des fêtes: cassis et groseilles de notre jardin, bleuets et atocas offerts par tante Éva de Péribonka.

C’était l’époque de l’autosuffisance. On n’allait au magasin général que pour acheter les denrées non cultivées sur la ferme comme la mélasse, le sucre, la cassonade, le sel et le vinaigre. La farine, elle, provenait de notre blé moulu au moulin agricole de la paroisse. Comme les écureuils prévoyants, les maitresses de maison devaient faire des réserves pour les longs mois d’hiver.

À l’époque des fêtes, certains fruits exotiques s’ajoutaient aux réserves. Quelques jours avant Noël, papa revenait du village avec un quart de pommes et une caisse d’oranges. C’était un événement. Je le vois rouler le baril de pommes jusqu’au centre de la cuisine, lever la trappe par son anneau encastré, descendre l’échelle, saisir de ses bras forts le baril et le déposer à terre sur des planches de bois. La caisse d’oranges, elle, trouvait place sur une tablette à côté.

Comme ça sentait bon quand on descendait à la cave! Les oranges regorgeant de soleil et les pommes fameuses excitaient les papilles. On résistait difficilement à la tentation d’en croquer une à pleines dents. On se retenait, car ces denrées rares ne montaient à la cuisine que par décision maternelle. Nous savions par ailleurs que selon la coutume nous en aurions dans nos bas de Noël avec des bonbons. Nos vrais bas de laine tendus près du lit.

J’oubliais. Il y avait aussi trois autres contenants importants dans la cave : le quart de lard salé, la jarre de concombres marinés et la cruche de vin maison (réservé pour le jour de l’an) fait de cerises ou de cassis.

Nous avions aussi à l’extérieur un caveau à légumes creusé dans une petite colline sablonneuse. On y entreposait dans des carrés en bois séparés patates, carottes, choux betteraves et rutabagas (qu’on appelait siams). Son accès était l’affaire des adultes. La porte basse de son cabanon s’ouvrait devant une lourde trappe recouverte de paille. Tout déblayer, ouvrir et descendre par une échelle étroite vers des abysses sombres et inconnus… Ce n’était pas facile pour des petites filles. Plus grande, il m’est arrivé d’y descendre à la fin du printemps. J’en suis vite remontée chassée par l’odeur de patates pourries! Un bon nettoyage s’impose au plus vite avant le retour de la belle saison.

Le jardin bientôt sera ensemencé. Il nourrira la famille tout l’été et comblera à l’automne les réserves des garde-manger pour un autre hiver.

Durant les longs mois de l’hiver nous avions notre congélateur naturel : la dépense. Elle était située près de la cuisine. Construite en bois, non isolée, comme un appendice à la maison. Lorsqu’arrivaient les froids de novembre et décembre elle se remplissait de la viande des boucheries de la saison : veau, vache, cochon, mouton, volaille. Au temps des fêtes on ajoutait cretons, pâtés à la viande, beignes, gâteaux, mokas, biscuits.

Nourrir une famille de treize (neuf enfants, nos parents, grand-père et Albertine), sans compter les nombreux visiteurs souvent imprévus, nécessitait une grande prévoyance. Le triple garde-manger remplissait bien son rôle.

Comment les gens se nourrissaient fait partie de l’Histoire. Chez-nous autrefois, c’était comme ça.