samedi 5 mai 2012

Jordi Bonet

En préparation d’un voyage à Barcelone en 2012, le souvenir de Jordi Bonet m’amène à relire la biographie de ce grand artiste d’origine catalane que nous avons eu la chance de connaître il y a une cinquantaine d’années. J’y trouve dans le livre une carte de vœux pour Noël 1962 signée Jordi où il me félicite pour mon dessin de l’église Saint-Raphaël de Jonquière illustrant celle que je lui avais envoyée.

Notre amitié remonte à 1958. Claude était marguiller de la paroisse Saint-Raphaël au moment de la construction de cette église de style révolutionnaire conçue par l’architecte Évans St-Gelais. Un ami photographe lui avait appris l’existence de Jordi Bonet, jeune artiste immigrant nouvellement installé au Québec. Un artiste exceptionnel. Pour preuve, il lui montra quelques photos de ses réalisations récentes. Coup de foudre! Claude communique son enthousiasme à l’architecte qui confie à l’artiste la réalisation du chemin de croix et de deux murales en céramique à l’entrée de l’église, l’une illustrant l’archange Raphaël accompagnant Tobie, l’autre saint Georges combattant le dragon.

Nous avons eu le plaisir d’accueillir chez nous Jordi tout le temps de ces travaux. Quel homme charmant! Il savait s’émerveiller facilement. Ainsi, lorsque je lui ai désigné la chambre d’amis au couvre-lit fleuri qui serait sienne, je me souviens qu’il s’exclama : « Yvonne, je vais dormir dans un jardin magnifique! » avec l’accent catalan qui ajoutait à son charme.

Nous étions du même âge. Jeune père, il savait parler aux enfants. Yves avait quatre ans et Marie deux ans. Souvent à la table il les captivait avec ses dessins spontanés. Marie se rappelle de cette fois où il lui annonça : « Aujourd’hui, je vais te faire une sorcière… » et de son émerveillement en voyant surgir sur sa serviette de papier une sorcière à cheval sur son balai. Que n’ai-je conservé ces croquis au pesant d’or?

Autre souvenir. Un soir, il rentra à la maison alors que nous disputions une partie de scrabble. Intéressé à ce jeu nouveau pour lui, il accepta d’en jouer une partie avec nous. Si son français oral était bon, son français écrit l’était moins. Ses coups de maître annoncés, souvent des périphrases, nous faisaient rigoler. Reste qu’il aimait ce jeu au point de me confier le mandat d’en acheter un pour l’envoyer à son père à Barcelone.

À la fin de son travail à Saint-Raphaël, comme j’étais à la veille d’accoucher de Jean, il m’offrit une Maternité, œuvre magnifique sépia en camaïeu. Il offrit à Claude un pied de lampe en céramique portant le dessin d’un coq glorieux dans les tons de gris bleuté et noir. Ces deux œuvres font partie des trésors de la maison.

Nous avons revu Jordi par la suite. Quelques fois chez lui à Montréal où nous avons connu sa femme Huguette, artiste céramiste, et son fils Laurent encore tout jeune à ce moment-là. Puis au Manoir Rouville-Campbell de Saint-Hilaire où il a habité jusqu’à sa mort prématurée. Après son travail à Saint-Raphaël il revint fréquemment au Saguenay où des contrats d’envergure lui furent confiés. Je puis dire sans risque de me tromper que Jonquière fut pour lui un tremplin important. La ville de Québec peut s’enorgueillir de plusieurs œuvres de Jordi. Qu’on pense aux grandes murales qu’il y a laissées.

Pour ma part, c’est toujours avec grande émotion que je contemple la murale du Grand Théâtre, œuvre gigantesque à la démesure du talent de Jordi Bonet. Tels les grands maîtres classiques, Jordi a inscrit dans la matière un message philosophique toujours actuel qui ne laisse personne indifférent. L’artiste lance un cri désespéré aux humains que j’ose associer à Guernica, tableau d’un autre grand Catalan nommé Picasso.

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